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06/04/2015

« LE VIEUX MONDE S'EFFONDRE ET MARCHE A GRANDS PAS VERS SA RUINE » (Camille Savoire, 1935)

« Le penseur qui, délaissant un instant les contingences au milieu desquelles il vit, oubliant dans la méditation, pendant quelques heures avec ses angoisses personnelles celles dont l'heure présente est si chargée et contemplant l'Univers dans son ensemble, est frappé d'un spectacle singulier : il semble que le cadre dans lequel évolue l'Univers sous ses divers aspects éclate de tous les côtés, que les rouages grâce auxquels se déroule la vie universelle ne sont plus appropriés à l'exercice de cette vie; nous vivons dans un état arythmique continuel sans connaître les raisons de cette rupture de la régularité vitale : tout est désaxé, la machine est détraquée et ceux qui sont chargés de la conduire ou de la remettre en marche sont impuissants à en rétablir le fonctionnement normal ! (…)

Je sais que certains esprits simplistes se contentent, pour expliquer cette crise et le désarroi du monde moderne, d'invoquer l'existence de rouages administratifs et sociaux périmés, qui ne sont plus en rapport avec un état social où se sont multipliées, en un trop court espace de temps, une multitude d'inventions telles que les applications de l'électricité dans l'industrie et l'économie domestique, la téléphonie et la télévision, l'aviation, la télégraphie sans fil et l'automobile. Ils voient dans ce désaccord entre les progrès de la science, de l'industrie, de la vie collective et individuelle et les cadres sociaux, politiques et administratifs dans lesquels nous agissons, les causes du désordre mondial. Sans doute ces causes contribuent à l'expliquer; mais elles n'y suffisent pas : il y a là quelque chose de plus profond, c'est une anxiété et une angoisse dont souffrent les êtres et un état chaotique de la vie universelle dont la guerre mondiale semble avoir été la cause première.

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« Il y a là quelque chose de plus profond, c’est une anxiété et une angoisse dont souffrent les êtres et un état chaotique de la vie universelle. »

 

(…) L'immoralité et l'amoralité se sont étalées dans la presse, dans la littérature, au théâtre, dans l'art. Nous y voyons ridiculiser ou désavouer les grandes lois morales, les nobles traditions des peuples, des gouvernements et des individus, par un public assoiffé de plaisirs, de lucre et de jouissance.

On a dit que la presse, la littérature et le théâtre étaient l'expression des mœurs d'une nation. Or, je me demande comment ceux qui viendront après nous jugeront notre époque, lorsqu'ils liront les productions de notre presse et de notre littérature ! Ouvrons nos journaux, qu'y trouvons-nous? Les crimes, les scandales étalés avec une complaisance et une abondance qui choquent les esprits épris de grandeur, de beauté, de générosité. Allons au théâtre, et surtout assistons aux manifestations de ce nouvel art dont nous sommes si fiers : le cinéma qui, faux agent de moralisation, au lieu de donner des spectacles de beauté et d'art, reproduit des romans policiers et des scandales; aussi, chaque jour, pouvons-nous constater les conséquences désastreuses d'une telle propagande, au sein de toutes les classes de la société.

Les journaux ont cité le cas d'enfants devenus meurtriers parce qu'ils avaient voulu jouer personnellement certaines scènes qu'ils avaient vues se dérouler au cinéma. Nombreux sont les jeunes gens et jeunes filles dont le cinéma a faussé l'esprit, les conduisant du rêve d'être un héros de roman ou une star de l'écran, à la débauche, à la misère, au suicide. Ce sont là des choses profondément regrettables.

 

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« Je me demande comment ceux qui viendront après nous jugeront notre époque, lorsqu’ils liront les productions de notre presse et de notre littérature. »

 

 

Dans le domaine physique, le chaos n'est pas moins manifeste

que dans l'ordre moral.

 

Jetons un regard sur l'ensemble de l'univers et observons les bouleversements dont il est actuellement le théâtre et devant lesquels nous demeurons stupéfaits et impuissants : phénomènes atmosphériques anormaux, irrégularité et enchevêtrement apparent des saisons par la modification des conditions climatériques caractérisant leur cycle entre les phénomènes astronomiques qui en marquent la durée. Phénomènes sismiques ou météorologiques d'une intensité anormale, inondations soudaines et imprévues en toutes saisons, cyclones, tornades, raz-de-marée causant des catastrophiques aériennes, maritimes ou côtières sur tous les points du globe.

Les récoltes subissent les conséquences des désordres atmosphériques et trop souvent les efforts du semeur restent sans récompense parce qu'en quelques minutes orages ou cyclones anéantissent le produit du labeur humain ou que des pluies diluviennes contraignent le cultivateur à laisser la terre reprendre ce qu'elle lui avait donné au prix d'un si pénible labeur !

 

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« Les individus éprouvent eux-mêmes le contrecoup de ces anomalies dans le domaine physiologique, mental et intellectuel et collectivement dans le domaine moral et social. »

 

Les individus éprouvent eux-mêmes le contrecoup de ces anomalies dans le domaine physiologique, mental et intellectuel et collectivement dans le domaine moral et social. Des maladies nouvelles ou comportant une symptomatologie nouvelle, très différente de leur caractéristique, des morts subites par embolies ou troubles circulatoires, des troubles cérébraux ou mentaux deviennent d'une fréquence inquiétante!

Dans l'ordre moral, nous observons un fléchissement de la conscience individuelle et collective, de la moralité privée ou publique et un relâchement des liens familiaux ou sociaux les plus sacrés.

Existe-t-il un rapport de cause à effet entre ces diverses anomalies de la vie universelle?

Quittons ce domaine dont les lois nous sont encore trop peu ou point connues pour descendre sur un plan moins élevé et plus accessible à nos moyens d'investigations et d'études, considérons la situation européenne et mondiale, pleine de faits inquiétants et troublants.

 

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« Une crise financière et économique qui menace de s’étendre à tous les états civilisés risque de bouleverser le vieux monde et de détruire ses fondements les plus solides. »

 

Des milliers d'êtres réclament un travail leur assurant la subsistance quotidienne que la Société, dans de nombreux pays, est impuissante à leur fournir : le chômage, source de misère, de démoralisation et de paresse s'étend de plus en plus sur les deux continents et menace de déchaîner une révolution mondiale; tandis que la misère et la famine sévissent dans l'Europe Centrale Orientale et en Asie, les journaux nous annoncent, sans pudeur, les décisions prises par certains gouvernements ou groupements de producteurs de détruire les stocks de blé ou de matières premières accumulés dans le but d'en maintenir les prix de vente élevés.

Nous avions toujours cru que la production abondante des matières nécessaires à l'existence serait un facteur de bonheur et de vie moins chère et plus facile. Nos augures économistes cherchent à nous démontrer que nous étions dans l'erreur et l'expérience actuelle se résume dans ce sophisme : surproduction cause de misère et de vie chère.

Serrons de plus près le problème et nous trouverons la cause de cette hérésie économique que nos augures officiels dissimulent avec soin.

(…) L'Oligarchie économique qui nous gouverne oublie que la Machine, issue des découvertes de la Science dont chacune des acquisitions tombe peu à peu dans le patrimoine social et humanitaire collectif, doit être un facteur d'amélioration du bonheur collectif, et non pas être exploitée par une minorité qui en monopolise à son profit les avantages en réduisant au chômage la main-d’œuvre humaine sans dédommagement.

 

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« Le patronat, souvent impersonnel, d’aujourd’hui, n’est plus le patronat familial d’antan et dans ce changement réside peut-être l’un des facteurs de la crise économique actuelle. »

 

Autrefois, patrons et ouvriers étaient plus rapprochés, travaillant coude à coude ou associant leurs joies et leurs peines qui devenaient communes, tandis qu'aujourd'hui, fréquemment, ouvriers et patrons sont complètement inconnus l'un de l'autre, séparés par la distance ou les divers échelons de la production hiérarchisée; le grand patron, qui n'est généralement qu'une raison sociale ou une société anonyme, ignore tout de ses ouvriers et les œuvres de prévoyance, derrière lesquelles il exerce parfois sa bienveillance, ne lui permettent pas de connaître personnellement les douleurs et les peines de l'ouvrier, de pénétrer dans son humble intérieur et d'y faire entendre la parole réconfortante ou d'y accomplir le geste consolateur qui donnait au patronat d'antan son caractère familial.

Hélas, trop souvent le chef d'industrie actuel trône dans un bureau situé loin de l'usine et ne doit qu'au droit d'héritage ou de fortune de commander à des hommes qui, moralement, sont cependant ses égaux et, socialement, les facteurs de sa prospérité et les artisans de sa richesse.

C'est peut-être dans ces nouvelles conditions économiques du travail, exploitées par les mauvais bergers laissant croire aux ouvriers que sans effort personnel, en écoutant leurs utopies, ils réaliseront un monde où chacun vivra sans travailler), qu'il faut chercher la cause des conflits économiques actuels.

Or ces conflits, si nous les laissons s'aggraver, n'entraîneront pas seulement des catastrophes financières, mais risquent de nous conduire à la guerre ou à la révolution.

 

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« Avez-vous déjà pensé un instant à ce que serait demain la guerre et son cortège d’horreurs dont le début serait l’anéantissement, quelques heures après la déclaration de guerre, de tous les foyers de civilisations et de lumière que sont nos grandes cités, immédiatement détruites, avec leurs habitants, par des flottes d’avions porteurs d’explosifs ou d’engins toxiques capables de détruire tout élément de vie dans un espace très étendu ? »

 

Dans ce domaine, nous ne voyons pas sans une profonde émotion la science, que nous avons aimée et vénérée parce qu'elle était un facteur de progrès humanitaire et une source de bonheur pour les peuples, profanée et mise au service des puissances du mal.

N'assistons-nous pas en ce moment à la réalisation du mythe prométhéen; la nature et l'inconnaissable se vengeant de ceux qui ont voulu leur arracher leurs secrets pénétrer leurs mystères ou transgresser leurs grandes lois en n’en rompant l'harmonie ?

(…) Ces puissances maléfiques ne rencontrent plus, en face d'elles, aucune barrière; leur route n'est plus semée d'aucun obstacle. Longtemps la société leur opposa un idéal religieux qui fut exprimé sous des formes multiples, correspondant aux divers cultes. Malheureusement, dans la plupart de ces cultes, le dogme, et surtout l'esprit dogmatique qui les caractérisait, est entré en conflit avec la science et la raison, et trop souvent le temporel a dominé le spirituel. Il en est résulté un affaiblissement graduel que l'impuissance et la passivité de leurs prélats, devant le grand cataclysme et ses horreurs, ont transformé en une décadence s'acheminant vers la Mort !

 

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« Les fondations du temple et le sol sur lequel elles reposaient ont été minés par des puissances maléfiques qui les ont sapées. »

 

(…) Notre civilisation chancelle comme les civilisations anciennes ont chancelé avant de mourir, parce que les dieux et les dogmes sont morts, que leurs temples ne subsistent plus que sous forme d'admirables vestiges qui sont encore l'objet de notre vénération, mais qui ne recèlent aucun apôtre véritablement digne de ce nom ! Leur vide et leur néant ne correspondent plus aux aspirations humaines !Pourquoi tout chancelle-t-il ? Parce que les fondations du temple et le sol sur lequel elles reposaient ont été minés par des puissances maléfiques qui les ont sapées, en les désagrégeant par l'égoïsme individuel et son essentielle expression : l'appât du gain. L'ambition démesurée, l'arrivisme forcené règnent en maîtres, les grands principes moraux sont souvent méconnus, la notion du devoir sombre devant l'intensification de la revendication des droits, l'intérêt individuel prime l'intérêt collectif.Voilà pourquoi le vieux monde s'effondre et marche à grands pas vers sa ruine ! Les peuples et leurs conducteurs sont entraînés dans une course vertigineuse qui les conduit à l'abîme. Intoxiqués par l'égoïsme individuel et collectif, ils sont incapables de réagir. Le sol croule sous leurs pas et bientôt ils devront abandonner La Cité pour éviter d'être ensevelis sous ses décombres.

Il importe de chercher le roc indestructible sur lequel nous reconstruirons en hâte la cité future si nous voulons sauver ce qui reste des civilisations. Ce roc sur lequel nous devons construire consiste en un nouvel idéal philosophique, moral et spirituel, invariable dans le temps et dans l'espace, dont nous devons doter le monde, et de son immuabilité dépendra la solidité de l'édifice que nous chercherons à bâtir. (…) Ce qu'il faut, en un mot, c'est chercher à opposer au dogme odieux, destructeur et dévastateur de « lutte des classes » le dogme d'amour universel, c'est chercher à rapprocher les êtres, en unissant leurs aspirations et leurs efforts, à soulever parmi nous une vague de spiritualité agissante (…) »

 

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Camille Savoire, Regards sur les Temples de la Franc-Maçonnerie, présenté par Jean-Marc Vivenza, Éditions La Pierre Philosophale, mars 2015, chap. XI, pp. 205-233.

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