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11/10/2019

LE « CONTACT ONTOLOGIQUE » : une vocation destinale à la confrontation au néant (3/5)

Extraits de : « La continuité d’une voie : du futurisme à la tradition », entretien avec Jean-Marc Vivenza, par Le Baron et Diaphane Polaris, Rébellion, n°78, janvier-février 2017 (3ème partie)

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« LA VIE ÉTERNELLE DE L’ESSENCE INCRÉÉE … »

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RÉBELLION : Lorsque l’on porte un regard global, tant sur vos travaux que vos recherches, sur des plans aussi divers que variés que sont les arts (futurisme-bruitiste), la philosophie via le pôle « Hélios » ou encore les voies initiatiques, on en vient donc à constater que, quelles que soient les diverses formes empruntées, un dénominateur commun les relie. Une démarche qui tendrait à provoquer via une confrontation au « nihil », une manifestation méta-ontologique de l’être, permettant ainsi un retour au principe suressentiel. La source semble identique, seul le support de fixation semble changer. Qu’en dites-vous?

Jean-Marc VIVENZA : Je confirme absolument votre analyse. Une seule chose, un seul sujet participe en effet de toute ma recherche - depuis les expériences sonores radicales du courant bruitiste-futuriste en passant par le Pôle philosophique Hélios [1] fondé après une prise de distance d’avec l’activisme idéologique, jusqu’aux études portant sur les domaines traditionnels et ésotériques -, la question de l’ontologie, c’est-à-dire celle qui porte sur l’Être en son essence, et en ce qui me concerne une ontologie qui ne peut être, en raison de la situation de notre présence au monde, et de la nature foncièrement dialectique et contradictoire de ce dernier, qu’une « ontologie négative ».

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« Les ravages de la technique, l'aveuglement de l'économie, l'effondrement des valeurs, la perte des mythes et des dieux, sont des phénomènes qui dans leur essence proviennent du destin historico-ontologique de l'être. »

(Ontologie Négative I)

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Tout ceci participe d’une volonté d’appréhender ce qu’il en est de l’essence intrinsèque et fondamentale de la réalité en elle-même, et, par-delà cette réalité, ce que sont, et d’où proviennent, les mécanismes qui se situent à la source originelle de tout ce qui subsiste dans l’être, et, à cet égard, je me situe entièrement dans la continuité de Hegel (1770-1831) qui déclarait : « Le véritable et unique maître c'est le réel » [2]. Il s’agit donc d’une entreprise de dévoilement, d’une mise en lumière des forces secrètes et invisibles qui animent et dirigent l’ordre apparent des choses visibles, ce en quoi, cette entreprise s’inscrit, à la fois dans le discours artistique intransigeant, la démarche philosophico-métaphysique portée à son point ultime d’intensité, et la voie initiatique authentique, bien que les « supports » qui contribuent à ce que puisse s’opérer ce dévoilement, et en « fixent » rigoureusement les modalités d’accomplissement en ces différentes formes, soient en effet spécifiques et adaptés selon les périodes.

Il convient pour cela de comprendre que la confrontation au « nihil », n’est pas simplement un temps, un moment du cheminement qu’il nous incombe d’effectuer du point de vue existentiel, mais que cette confrontation est une voie de négation totale qui – non point faite de par son exigence, il est vrai, pour tous les esprits -, par la contemplation du néant d'où procède et en quoi existe toute réalité, est permanente, constante, car pour passer au travers de l’obscur, il faut traverser la sombre nuée du vide originaire, et ceci depuis toujours et pour toujours.

 

– « L’Être séjourne dans son retrait. » –

 

En ce sens, le futur - de toute éternité et pour toute éternité -, est une origine, une source, un commencement insaisissable et une vocation destinale. Le futur est ainsi le produit d’un commencement qui est lui-même devenir, une racine qui est un germe, car le logos du commencement est dialectique et ne se délivre que dans la négation.

Cependant, pour éviter les erreurs sur cette « traversée » de l’obscur, il importe de savoir que l'existence est soumise à la limite radicalement, foncièrement, et qu'il n'y donc, en conséquence, rien à posséder ultimement du mystère existentiel, rien à conquérir de façon positive de cette origine en devenir d’elle-même, et qu'il n'y a non plus rien à dépasser, car l'Être n'est jamais atteint ; il séjourne dans son retrait, il demeure inaccessible dans son éloignement. Ainsi, sans accès possible, l'Être est présent dans son absence et absent en tant que présent.

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« (…) il est dans la nature et le destin de l'être d'être oublié »

(J.-M. Vivenza, Nagarjuna et la doctrine de la vacuité, Albin Michel, réédition 2009, p. 214)

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Lorsque Martin Heidegger écrit que « l'essence du Dasein consiste en son existence » [3], il faut donc oublier ce que l’on croit être établie comme définition de l’existence, c’est-à-dire l’acte premier qui situe un être hors du néant, hors de ses causes, et plutôt regarder la possibilité qui caractérise l'homme d'expérimenter une ouverture où il doit se soumettre dans le dépouillement de toute chose, « dans l'ouverture duquel l'être lui-même se dénonce et se cèle, s'accorde et se dérobe» [4]. Cette ouverture est celle où règne le silence nocturne des vérités impensables, inexprimables, là où la pensée retourne en son silence originel ; l'existence dans la plénitude de son inexistence. Moment non manifesté, non-né, non-advenu. Temps inexistant pour un lieu sans localisation. Pour une parole vide de son silence, un dire vide du vide lui-même. Un inconnu à jamais indicible et obscur, une « ténèbre » insondable et invisible. L'intense abîme du néant en son « Rien ».

En cet informulable où prend source toute pensée de la non-pensée, où s'origine le contact ontologique fondamental, où s'enracine les premières lumières de la pensée matinale du logos philosophique, la patrie nécessairement oubliée de l'Être, la révélation de l'inexistence en son « Rien », n'est qu'un moyen de sombrer plus avant dans l'absence de l'Être. L'intolérable existentiel ne peut de ce fait se comprendre, mais il est certain qu'une seule chance par lui nous reste offerte : celle d'accepter le non-sens. L'existant, le sujet, se retournant sur lui-même doit donc impérativement affronter dans « l'angoisse », la nuit vide, l'absence cruelle, son expulsion hors de lui-même vers le néant. C’est pourquoi le sujet n'est rien d'autre que cette « ouverture au néant », à l'innommable altérité face à laquelle il affronte, tout en rencontrant sa tragique limite ; limite tragique au sein de laquelle il atteint tout en l'ignorant son invisible souveraineté.

 

 


VIVENZA, "Dans Son Être Propre Absolu", extrait de : COlECTIF – In Memory Ov John Balance And Homage To Coil, Mastered in Marseille October 2005. ℗ 2006 Rotorelief © 2006 Rotorelief

 

Il n'est donc d'autre mission véritable pour l’être, et en cela tient la vérité méta-ontologique, il n'est d'autre fin authentique pour lui, qu'une souveraine perte définitive qui le condamne au silence du non-savoir et aux ténèbres de la nuit, qui ouvre, au terme d’un cheminement dans le désert, en quoi consistent et que représentent les différentes formes de la traversée, sur les cimes de « l’Aurore naissante ».

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Notes

[1] Revue du pôle philosophique Hélios, no 1 à 13, (1994-2000).

[2] F. Hegel, La phénoménologie de l'Esprit, Aubier, 1979.

[3] M. Heidegger, L'Être et le Temps, Gallimard, 1964, p. 42.

[4] M. Heidegger, Qu'est-ce que la métaphysique? Questions, I, Gallimard, 1989, p. 33.

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« (…) il s’agirait d’éprouver et d’écouter l’appel de l’Être à travers notre dépossession et le renvoi de notre pauvreté essentielle, celle qui fait de nous des êtres de veille et de garde, de questionnement et d’écoute, jamais lassés, des « sentinelles du Néant », profondément centrées sur ce rien qu’est l’Être. »

(Ontologie Négative I)

 

A lire :

 

Entretiens spirituels et écrits métaphysiques

« Voie » de l’ontologie fondamentale et de l’ésotérisme mystique :

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Entretiens spirituels et écrits métaphysiques

Le Mercure Dauphinois, 2017, 375 pages. 

 

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