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02/10/2019

SOURCES SONORES ET THÉORIQUES : « VIVENZA OU LA RÉVOLUTION BRUITISTE »

Extrait de : J.-M. Lombard, « Vivenza ou la révolution bruitiste », Vouloir, n°65/66/67, Bruxelles, 1990.

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« L’idée de création participe du concept de transformation. Créer, signifie organiser les forces en mouvement, modifier et renouveler le monde et sa forme, par la parfaite compréhension dynamique de sa matérialité objective. »

(Volonté futuriste, n°11, 1991, « L’art, réalité, dynamique »)

 

« Hurle le feu et le souffle du feu, le bruit fils du combat des corps en mouvement s'incarne dans les cœurs humains ». Ainsi s'achève son sulfureux pamphlet La Révolution bruitiste. S'il fait grincer quelques dents et hurler quelques sensibilités fragiles, il faut reconnaître à Vivenza une logique d'un radicalisme hors du commun aujourd'hui. Après les concerts de l'année 86 en Allemagne, Hollande et Italie, le voici de retour. Le cycle français a été introduit par la magistrale soirée (organisation "variété") donnée à Grenoble en la basilique du Sacré Cœur. Les gens conviés à cette cérémonie en sont encore tout retournés, la mystique bruitiste trouva dans ces lieux son grand prêtre. D'un son chaque fois plus énorme et impressionnant (cela semble d'ailleurs un euphémisme de le répéter), d'une mise en scène encore plus frappante, cette soirée (novembre 86) était le premier concert de Vivenza à Grenoble depuis quatre ans. L'intransigeance doctrinale de Vivenza ne peut laisser indifférent, sa lucidité lui a permis de dégager de l'héritage futuriste la substantifique moëlle qui génère son travail actuel.

 

Une cohérence rigoureuse

 

Sa volonté, sa cohérence en font, il faut bien le reconnaître à présent, l'un des plus puissants représentants du courant industriel. La violence dynamique de ses compositions, liée à une présence scénique déconcertante, lui ont permis de se hisser à travers des pâles imitateurs balbutiants et enfantins bricoleurs, au premier rang créatif, écrabouillant comme il aime à le dire, la sclérose électro-acoustique et la frilosité institutionnelle ainsi que l'amateurisme dilettante. Bien entendu, cette ascension a des risques, et l'un des plus importants reste celui de l'incompréhension. Nombreuses sont les personnes qui préfèrent la fuite devant les évidences politico-culturelles de Vivenza, même s'il ne fait pas dans la dentelle, son cri et son attitude sont un nécessaire contre-poison pour nos conformismes cotonneux. Nos habitudes intellectuelles sont, il est vrai, mises à mal avec lui et, plusieurs fois, à la passion qui l'anime, j'ai voulu substituer dans la discussion l'analyse froide mais c'est un terrain où il excelle tout aussi bien et c'est ce qui fait sa force et sa cohésion car effectivement chez lui nous ne retrouvons pas tous nos travers répulsifs de cette scène inculte et bruyante. Tout au contraire, ici, le propos est fondé sur une rigueur dépensée, un fondamentalisme bruitiste unique en son genre. Cet aspect particulier peut nous permettre de penser que nous sommes en face d'une réflexion sûrement étudiée et d'une attitude d'une extrême importance.


« Le futurisme combat l’idéal des esthètes statiques décoratifs, efféminés, précieux qui haïssent l’action »

(Marinetti, Manifeste futuriste, 1909)

 

Sur la ligne qui va des servo-mécanismes aux compositions bruitistes en passant par les textes, disques et concerts, Vivenza nous livre le résultat d'un travail d'une concision qui est remarquable, à plus d'un titre. Cette détermination dans la démarche depuis plusieurs années ne peut que frapper et c'est pourquoi il est nécessaire à présent (si l'on ne veut pas se trouver désarmé face à son propos et à son travail) de lire ce qu'il écrit ou d'écouter très attentivement ce qu'il ne cesse de répéter :

« La problématique bruitiste doit être abordée d'une manière tout à fait nouvelle, les écoles électro-acoustiques n'ont pas su conserver d'une manière l'aspect révolutionnaire du propos bruitiste tel qu'il nous fut livré par les Italiens ; il nous appartient maintenant de réaliser l'incarnation dynamique de leur vision ».

« Le bruit a une exigence dynamique qu'il nous faut développer, même ou surtout violemment, peu importe les craintes, nous devons travailler la matière sonore au corps ».

« Fuir les vagues errances anémiées du dilettantisme, qui fait que tout le monde se dit intéressé par le son, mais nul ne songe à savoir si le son s'intéresse à eux. La matérialité objective du bruit est une conception organique vivante, vibrante, mais il ne faut pas plaisanter avec. La position de l'esthète touche-à-tout ne marche pas. Ici, c'est complètement totalitaire au sens psychologique du mot, c'est-à-dire que cela concerne l'individu en totalité. L'être dans son objectivité et non pas son oreille avec la distance du touriste, le recul de la prudence et du confort. Soit tu décides de t'imposer dans cette discipline et tu te contingentes, soit il vaut mieux continuer à cultiver son néant ».

 

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« Fuir les vagues errances anémiées du dilettantisme, qui fait que tout le monde se dit intéressé par le son, mais nul ne songe à savoir si le son s’intéresse à eux. »

 

Un "janséniste" sulfureux

 

Avec de tels propos, il est vrai, rien n'est fait pour dissiper ce brouillard sulfureux qui semble dissimuler ce personnage hors du commun. Dans un précédent article, j'avais employé le terme de jansénisme à son sujet et c'est vrai que pour lui le nombre des élus semble fort restreint à l'intérieur du cénacle qui contient "la minorité consciente" luttant avec détermination à la révélation révolutionnaire de la fureur du bruit. Rigueur d'un autre temps ou ascèse visant l'intégration totale de l'individu dans les structures même du bruit, union furieuse, passionnée et douloureuse rendue visible l'espace d'un concert. Le tellurisme révolutionnaire de Vivenza nous plonge directement dans ces racines profondes : « du plus fort de la matière domestiquée surgit l'immense écho du langage de la terre. Alimentée du sang et de la sueur des hommes de la terre, fécondée, accouche dans la violence du bruit qui est son langage, du bruit qui est son cri, du bruit qui est son sens et sa forme ». Et c'est dans ce bruit que Vivenza s'immerge afin d'y appliquer cette "orchestration méthodique", cette organisation mécaniste et radicale parce que nécessaire et obligatoire sous peine de dérapage. En effet, Vivenza sait qu'il y a un risque et le concert nous livre intégralement cette fragilité, ce danger de l'emballement du dépassement, caché par l'agencement précis de la scène et des appareils.

 

Une cassure historique à colmater

 

 

« L'énergie du bruit est une énergie de destruction et de construction ». Tout s'articule dans cette dialectique précise, cette relation toujours délicate entre la virtualité dynamique des matériaux et leur maîtrise, leur architecture. Nous ne pouvons face à ce travail continuer à reproduire nos schémas catégoriques d'analyse. Vivenza déroute et c'est très bien, Vivenza dérange et c'est encore mieux, Vivenza déconcerte et nous sommes désarmés. Sa logique très particulière nous avait déjà surpris lorsqu'il y a quelques années il nous avait expliqué en quoi les propositions théoriques bruitistes formulées par les avant-gardes du début du siècle (futurisme, constructivisme) n'avaient pu s'incarner concrètement, en quoi il y avait une cassure historique qui demandait d'être colmatée, un lien qu'il était nécessaire de réaliser. En quoi les écoles acoustiques qui avaient éclos après-guerre ne pouvaient se dire héritières des visions révolutionnaires bruitistes et ce langage effectivement était neuf, particulièrement décapant, nulle comparaison n'était réellement possible entre le travail savant mais ennuyeux des instituts d'électro-acoustique et celui de Vivenza.

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Certains s'étonnent de voir ressortir de l'oubli des théories du début du siècle. Mais Vivenza n'est pas un pâle continuateur qui se contenterait de réactualiser des principes vieux de 70 ans. Vivenza n'est pas un fossile. Il n'est, pour s'en convaincre, que de se pencher un instant sur sa production et ses compositions, d'examiner de près ses textes pour voir si le futurisme italien est bien la source dont il se réclame (et cela dans une démarche qui combine l'honnêteté intellectuelle à la nécessité historique et théorique), il ne se suffit pas de ce rappel, il ne se cantonne pas dans l'attitude de l'historien frileux ou du disciple dévot. « Le bruit ne saurait se satisfaire d'une telle attitude. Cette sclérose serait l'antithèse de toute démarche dynamique ». Au contraire, nous sommes ici en présence d'une évidente et concrète action d'une exceptionnelle nouveauté dans ce qu'elle a de profondément novatrice et d'autre part de terriblement enracinée dans son rappel historique si particulier qu'il en est presque unique par sa radicalité dans le monde de l'art contemporain. C'est d'ailleurs ce qui fait dire au journaliste italien Ottavio Casattini : « Représentant la plus pure expression du radicalisme sonore bruitiste mécanique, Vivenza s'affirme comme le plus sérieux propagandiste de l'authenticité industrielle, dans toute son intégralité et toute sa pureté doctrinale ».

 

Porter le bruit à son maximum de rage et de force

 

Le jugement de Casattini semble d'une grande justesse d'analyse. Cette authenticité est bien la marque de Vivenza, sa spécificité. Le bruit est, avec lui, porté à son maximum de rage et de force, conservant toute son intégralité essentielle, refusant de l'utiliser en faire-valoir. Vivenza est bien cet énorme "Souffle des Forges" qui s'affirme à présent avec une intensité d'autant plus dramatique qu'elle est en passe de disparaître de notre paysage industriel européen puisque cette industrie du XIXe siècle est, à plus ou moins court terme, promise à la destruction. Pour que l'oubli n'afflige pas nos mémoires, Vivenza fait hurler les machines en paraphrasant Dziga Vertov : « Vive la poésie de la machine mue et se mouvant, la poésie des leviers, roues et ailes d'acier, le cri de fer des mouvements, les aveuglantes grimaces des jets incandescents ».

 

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JM Lombart, Vouloir n°65/67, 1990.

 

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